A l’Est du monde :
A ses origines ancestrales, le Carnaval était une fête célébrée en Egypte, à l’approche du printemps. Les Grecs la célébrèrent sur le modèle de l’Egypte puis les Romains, qui l’amenèrent en Europe Occidentale, comprenant la Péninsule Ibérique. Parallèlement, des nombreuses populations fêtaient chaque année, à leurs manières, la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps. Toutes ces fêtes païennes furent ensuite récupérées par la célébration catholique du Carnaval.
Une fois le Catholicisme répandu en Europe, le Carnaval est devenu la fête précédant le Carême, 40 jours durant lesquels on ne pouvait plus manger de viande. En effet, le terme «carnaval» vient du latin «carnelevare», qui signifie «supprimer la viande».
A l’Ouest du monde :
Au XVème siècle, l’Empire Inca se fortifie en Amérique du Sud, plus particulièrement dans la région des Andes. Une des stratégies militaires élaborées pour coloniser les populations étaient de leur « permettre » de continuer à célébrer leurs fêtes traditionnelles. Les Incas avaient ainsi trouvé un moyen pacifique de ruiner les peuples colonisés, car ils dépensaient toutes leurs réserves alimentaires et financières, ce qui les rendait inaptes au combat et à la rébellion. Cela pouvait passer comme une faveur de la part de l’Empire, mais était en réalité une stratégie diplomatique pour rendre dociles les populations colonisées.
Lorsque les espagnols arrivèrent dans la région andine et comprirent l’avantage d’offrir aux populations autochtones le droit de continuer à célébrer leurs festivités traditionnelles, ils firent la même chose avec de nombreuses populations indigènes. Ce ne fut bien sûr pas le cas pour toutes les ethnies car nous savons bien que la plupart d’entre elles ont disparu en Amérique du Sud, mais ce fut le cas la région des Andes, plus particulièrement au Pérou et en Bolivie.
Le carnaval a été implanté en Amérique latine par les colons catholiques, mais lors de cette fête les peuples indigènes et les esclaves avaient le droit de participer aux festivités et de nombreuses expressions artistiques et culturelles ont pu ainsi survivre ou se créer et perdurer jusqu’à nos jours, «grâce» à la liberté d’expression accordée aux minorités lors de cette fête.
En Bolivie :
La Bolivie est le pays d’Amérique latine avec la population indigène la plus importante, plus de 50% de sa population totale. Cependant, bien que certaines traditions purement autochtones aient survécu, le syncrétisme culturel et religieux avec la culture espagnol et européenne reste majoritaire. Ainsi, juste après les fêtes de Noël, arrive le Carnaval. Le plus important est celui de la ville d’Oruro, qui se prépare toute l’année durant afin d’accueillir un défilé extraordinaire, qui dure 48 heures !
On peut observer lors de ce défilé des danses de tout le pays, métisses (comme la Morenada), purement indigènes (comme le Pujllay) ou cowboys (comme la Chacarera). De nombreuses danses étaient à leur origine des critiques du pouvoir ou du colonisateur, comme les Caporales dans les danses afro-boliviennes ou les Cusillos de la danse du Carnaval de La Paz, qui représente un colon espagnol autoritaire. Ce défilé extraordinaire est l’unique activité culturelle qui fait vivre la ville d’Oruro et lui a donné son prestige, avec la reconnaissance de son Carnaval par l’Unesco comme Patrimoine Immatériel de l’Humanité.
Cependant, n’oublions pas que les espagnols il y a 400 ans eurent l’idée de copier les Incas, en «accordant» aux peuples indigènes et aux esclaves le droit de continuer à réaliser leurs danses traditionnelles lors du Carnaval, ou lors de fêtes catholiques. Ceci dans le but d’appauvrir les minorités, qui dépensaient une partie importante de leur capital pour marquer l’évènement. Ceci était aussi une manière de satisfaire les populations soumises, qui chercheraient moins à se rebeller si on leur faisait ce genre de faveur.
Aujourd’hui, il est moins évident de considérer la célébration des fêtes catholiques comme une stratégie de colonisation et de pouvoir. Cependant, on observe en Bolivie un phénomène curieux : les classes moyennes dépensent des sommes impressionnantes lors de ces festivités, que ce soit en costumes, en alcool ou en organisant une procession religieuse, qui dure un, deux ou trois jours. En effet, certains costumes traditionnels peuvent coûter jusqu’à 5000 dollars américains (en Bolivie on utilise quotidiennement le dollar, ça arrange les multinationales), et ce sont les personnes qui choisissent de défiler pour tel saint ou telle vierge qui paient leur inscription au défilé et leur costume, entre autres dépenses. Des économies de plusieurs années parfois sont dépensées dans un défilé, pour l’honneur de la famille qui participera et démontrera ainsi sa «richesse». Ainsi, l’élite riche ne risque pas de voir la classe moyenne s’enrichir. De plus, les places des spectateurs sont vendues par des multinationales de téléphonie mobile et non par les habitants locaux.
Conclusion :
Nous ne remettons pas ici en cause l’importance du patrimoine culturel d’un pays, sinon la façon dont il est exprimé. En ce qui concerne la Bolivie, l’histoire de cette stratégie de soumission des peuples a aussi permis à certaines expressions culturelles de se créer ou de survivre.
Cependant, il paraît inapproprié que des sommes si importantes d’argent soient gaspillées par les ménages des classes moyennes. Tout l’argent dépensé pour la Vierge de Socavón de la mine d’Oruro pourrait plutôt être utilisé pour payer des études, entretenir les fondations de la maison, ou encore payer des soins médicaux, quand on sait que la santé et l’éducation sont payantes en Bolivie…
Marine Faillettaz, La Paz, Bolivie.